Philippe Rekacewicz

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Philippe Rekacewicz est géographe, cartographe et information designer. Il a dirigé le service cartographique d’une unité - délocalisée en Norvège - du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE/GRID), et a été un collaborateur régulier de plusieurs journaux d’analyses géopolitiques en Europe. Intéressé par les liens qui unissent cartographie, art, science et politique, il collabore depuis 2006 à diverses manifestations carto-artistiques à travers l’Europe. Il mène également de nombreux projets internationaux liés au mouvement de la cartographie radicale et expérimentale. Il est l’un des membres fondateurs du site visionscarto.net et, depuis 2016, chercheur associé à l’Université de Helsinki.

 

Bibliographie sélective 

cartographie radicale

« Cartographie radicale »
de Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz
aux éditions La Découverte

 

Il est des cartes qui disent non. Des cartes radicales, qui dévoilent et dénoncent, qui protestent. Pour comprendre ces cartes rebelles, leur fonctionnement, leurs forces, leurs possibilités, ce livre entreprend un voyage d’exploration au coeur de la création cartographique. Politique, art et science y entrent en dialogue permanent pour proposer une image non-convenue et libre du monde.

La première fonction des cartes est de nous aider à nous repérer dans l’espace et à nous déplacer d’un point à un autre. Elles permettent aux bateaux de naviguer et aux avions de voler. Avec des cartes, on fait la guerre, puis éventuellement la paix. Elles sont aussi de formidables machines à rêve, qui façonnent notre image du monde, en fixent la mémoire et finissent par fabriquer notre réalité.

Que se passe-t-il exactement quand nous élaborons une carte ? Qu’est-ce qui motive cet acte très particulier de mise en forme symbolique du monde, de Strabon à l’anarchiste Élisée Reclus, de la bénédictine Hildegard von Bingen à l’explorateur Alexander von Humboldt, des portulans à la carte d’état-major ? Quelle part de fantaisie créatrice, quelle part de fantasme faustien d’une possible maitrise de notre environnement, quelle part de sincérité scientifique sont à l’oeuvre ?

C’est pour comprendre ce qu’est la carte radicale ou expérimentale (on parle aussi de cartographie critique ou de contre-cartographie) que nous avons entrepris cette exploration au coeur de la création cartographique. Entre l’émergence de la cartographie thématique et l’audace novatrice de l’ingénieur Charles-Joseph Minard ou des designers d’information Otto et Marie Neurath se situe un point de rupture avec les conventions de la représentation cartographique. Un point libérateur, qui a ouvert le champ de l’expérimentation et rendu possible la démocratisation des cartes. Autour des années 1900, le sociologue W.E.B. du Bois et son équipe inventaient de nouvelles façons graphiques de représenter des données statistiques sur la situation des personnes noires aux États-Unis. Quelque soixante ans plus tard, c’était pour dénoncer le même racisme culturel et économique qu’un petit institut de géographie de Detroit, animé par William Bunge et Gwendolyn Warren, donnait ses contours à ce qui deviendra la géographie radicale : une géographie engagée.

En spatialisant les données économiques et sociales, il s’agit de produire des cartes délibérément politiques qui montrent et dénoncent les situations d’inégalités sociales et économiques, les intrications politico-économiques, les accaparements de terres par des groupes marchands, les destructions d’espaces par l’agro-industrie, la pollution de la planète et tout ce qui hypothèque, d’une façon ou d’une autre, le bonheur et l’avenir de l’humanité. Les cartes, qui jouent traditionnellement le jeu du pouvoir, se font outils de la contestation et instruments d’émancipation politique et sociale quand la société civile se les approprie. Politique, art et science entrent alors en dialogue permanent pour proposer une image non-convenue et libre du monde.