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Michel Lussault, la pandémie et la géographie



La pandémie expliquée aux enfants… mais sans enfants ! Du coup, Michel Lussault s’est offert le luxe de laisser s’exprimer pleinement le géographe qui l’habite. Un géographe que l’on sent enthousiaste et passionné… et qui a dû passer une grosse partie de la « paralysie mondiale » à étudier la progression d’un virus que l’on n’a pas vu venir : « Entre un premier patient identifié fin décembre 2019 et un confinement mondial en mars 2020, il s’est passé dix semaines. Une paralysie mondiale en l’espace de dix semaines : on avait déjà connu des pandémies, mais jamais elles ne s’étaient répandues aussi rapidement. »

Forcément, ce phénomène a interpellé Michel Lussault. Comment a-t-on pu passer de cinq ou six corps touchés à Wuhan à des milliards de corps ? Le SARS-Cov du début des années 2000 se transmettait par le contact peau-à-peau. « C’est la raison pour laquelle au début de la pandémie du SARS-Cov II, les gestes barrières étaient plus importants que le port du masque. Puis les scientifiques se sont rendu compte de sa capacité à se développer à travers les gouttelettes de salive puis, et l’on a la certitude de ce fait que depuis le mois de juin, de sa capacité à rester dans l’air, en suspension. »

Et la géographie dans tout ça, lui direz-vous ? Il y vient… « C’est justement ce passage de corps à corps de façon massivement aérologique qui a intéressé encore davantage les géographes : la géographique de la transmission intercorporelle du virus. » Ou, dit encore autrement mais pas plus simplement : « Le virus nous a obligé à réfléchir à une géographie aérologique. Autant il est facile de ne pas se toucher, autant il est difficile de ne pas partager le même air. Il est complexe de devoir se méfier de l’air que l’on respire et de sentir que chaque personne croisée est une menace. »

Et c’est là que notre rapport à l’autre s’est modifié. Par ce qui nous a été contraint. L’immobilité d’abord, difficile à adopter dans un monde fondé sur la mobilité ; l’enfermement via le confinement ensuite ; un travail sur la distance enfin.

On nous a imposé un éloignement physique. « On a normé l’interspatialité en nous faisant réguler notre distanc ; on a normé une pratique corporelle en nous demandant d’éternuer dans notre coude ; on a normé une pratique sociale en nous recommandant de ne plus nous saluer en nous serrant la main ou en nous embrassant. » Autre effet lié au SARS-Cov II : « la sociabilité masquée », qui nous permet de nous maintenir malgré tout dans une situation spatiale. « Nous avons toujours décodé les émotions par le visage. Aujourd’hui, nous devons apprendre à les lire différemment, à travers les regards. »