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« L’habiter » en zone à risque nécessite une connaissance de l’espace de vie et de ses dangers spécifiques, un dialogue entre les citoyens plus ou moins menacés, mais aussi entre citoyens et pouvoirs publics pour trouver des solutions qui dépassent le seul habitat et le seul individu.
L'article inédit publié par Le Diploweb.com dans le cadre de son partenariat avec le 25ème Festival International de Géographie : "Habiter la Terre", 3-5 octobre 2014, Saint-Dié-des-Vosges.

« HABITER » recouvre la dimension géographique des pratiques associées à des lieux. L’ensemble de ces pratiques définit un mode d’habiter (M. Stock 2006), lequel implique des représentations, un ou des réseau(x) de relations (affectives et autres), des modes de vie au quotidien, un usage et des perceptions des lieux habités (campagne, ville, périurbain). C’est un terme « englobant » qui renvoie à la fois à l’habitat, au « toit », à la manière de garantir la santé, la sécurité, l’intimité, la dignité des habitants, mais aussi aux mobilités des individus qui ne se contentent plus d’un ancrage unique. M. Stock (op. cité) utilise le terme de « polytopie » pour souligner ce multi-ancrage, la diversité des espaces de vie et les mobilités associées. Habiter c’est donc à la fois l’habitation, l’intérieur, l’extérieur, l’espace public proche, le rapport à l’espace et au lieu, c’est aussi un rapport aux autres qui recouvre ce que l’on nomme « cohabitation » (M. Lussault 2007). Désormais se pose la question de la durabilité d’habiter. Dans ce contexte, les mobilités, « la polytopie » sont-elles acceptables, souhaitables ? Ou faut-il privilégier l’ancrage ? Peut-on envisager des modes d’habiter durables dans les zones dangereuses ? Or les risques de toute nature (naturels, technologiques, sociétaux…) sont intrinsèquement associés à l’habiter ou plus simplement encore au fait d’exister. 

Aujourd’hui, beaucoup pensent que l’Etat doit être le garant et l’acteur de la sécurité, voire doit contribuer à supprimer le risque. Or, le risque zéro n’existe pas.

Dans le passé, la manière de vivre, d’habiter intégrait le danger. On vivait alors avec le danger accepté pour des raisons religieuses notamment … C’est encore parfois le cas pour certaines populations. On vivait et l’on vit encore nombreux dans des zones à risques parce que celles-ci avaient certains avantages en particulier économiques (qualité des sols volcaniques, proximité de l’eau, ressources proches…). Aujourd’hui dans la société du risque telle que définie par U. Beck (2001), le danger est considéré comme inacceptable mais dans le même temps, la population menacée ne veut pas, dans bien des cas, quitter son habitation, son lieu de vie qui sous tend des liens sociaux, des réseaux de relations, une cohabitation. Elle considère que l’Etat doit être le garant et l’acteur de la sécurité et doit contribuer à supprimer le risque. Ce qui est évidemment impossible, le risque zéro n’existant pas. La question de l’habiter en zone à risque pose donc celle des choix de vie individuels, de l’action publique (rôle de l’Etat) et des modes de gestion des espaces dangereux. Peut-il y avoir développement durable et durabilité en général des lieux perçus comme dangereux ? Comment intégrer le risque dans la vie des individus, dans leur manière d’habiter ? Comment réduire la vulnérabilité pour parvenir à un mode d’habiter durable ?

Les enseignements des catastrophes 

Les suites d’une catastrophe (inondation, séisme, tsunami…) ne concernent pas que le bâti souvent très affecté mais se traduisent souvent par la déstructuration des communautés, de leur manière d’habiter, par la rupture du lien social… La situation extrême d’Haïti en fournit un exemple dramatique. Dans les pays en développement, plusieurs cas de figures envisagés par J.Ch. Gaillard (2009) peuvent être distingués quant aux suites de la crise. Si l’environnement et le lien social sont fortement affectés par l’événement, il est parfois nécessaire de déplacer les populations, ce fut le cas lors de l’éruption volcanique survenue dans l’île de Tristan da Cunha en 1961-1962 ; les iliens surtout ruraux transplantés dans les villes anglaises ont perdu leurs repères, leur culture, leur rapport au lieu. Le déracinement total se traduit par des difficultés d’adaptation, une fragilité, une vulnérabilité accrues qui vont à l’encontre d’un « habiter » durable. L’éruption du Pinatubo en 1991 constitue un autre exemple plus récent qui permet des conclusions similaires.

Que faut-il entendre par "résilience" ?

Si la catastrophe affecte une société traditionnelle plus résiliente, marquée par un lien social fort entre individus, la possibilité de surmonter la catastrophe est meilleure. Ainsi lors de la destruction par un violent séisme de la ville de Yungay au Pérou en 1970 où un très grand nombre de personnes ont trouvé la mort, le gouvernement péruvien a envisagé de déplacer la population survivante pour la reloger hors de l’espace concerné. Les sinistrés ont fait front et ont refusé le déplacement, ils ont reconstruit leurs habitations au plus prés des ruines de leur maison. Dans le dernier cas, la catastrophe peut être un accélérateur des changements sociaux déjà amorcés avant la crise, avec une ouverture aux autres, des mobilités (J.Ch. Gaillard op.cité)… L’exemple de Lisbonne, capitale pourtant déclinante mais place marchande toujours active au milieu du XVIIIe siècle, témoigne après le tremblement de terre de 1755 de changements profonds dont rendent compte le nouvel urbanisme du Marquis de Pombal, une ouverture plus marquée de la ville vers le port, l’océan et l’outre mer. Autant d’éléments qui indiquent de nouveaux modes « d’habiter » de la population qui a survécu à la catastrophe. On peut donc rappeler quelques facteurs de résilience des sociétés traditionnelles, un lien social fort au sein d’un groupe, une certaine ouverture en direction de groupes voisins, des relations étroites avec les lieux de vie (aspects culturels, religieux…), des spécificités économiques… Naturellement interviennent d’autres éléments qui peuvent être des limites à la résilience comme la taille du groupe ou le statut du foncier… Dans tous les cas un retour d’expérience est indispensable qui doit permettre de mieux gérer le risque pour empêcher au maximum que ne se produise la crise.

Risque, développement durable et « habiter »

Des modes « d’habiter » durable nécessitent de traiter le risque avant que ne survienne la catastrophe. Les risques ne sont pas extérieurs au lieu, au groupe ou à l’individu. Ils sont ancrés dans une société qui doit connaître les menaces d’origine naturelle ou technologiques qui l’affectent. Il y a aujourd’hui des solutions multiples pour cela, l’éducation aux risques et les programme d’enseignement, les actes de vente ou de location, des documents fournis par l’Etat ou les communes (DDRM, DICRIM…). Encore faut-il accepter l’existence d’un danger notamment pour la population qui n’a pas de pratiques anciennes d’un lieu et peu de liens étroits avec la nature en général.

D’autres solutions relèvent d’aspects techniques, elles renvoient à l’adaptation de l’habitat aux contraintes du risque (construction parasismiques, habitat adapté aux avalanches, ou aux inondations : sur pilotis, avec étage obligatoire-règle du duplex-voire habitat flottant… ces adaptations s’inscrivent dans la durabilité). Le choix du lieu d’implantation de l’habitat et son aménagement souvent effectué avec soin pour s’éloigner des espaces connus comme dangereux dans le passé, pourrait être aujourd’hui systématique (on peut même privilégier des constructions sur des paliers surélevés aménagés pour réduire les effets des inondations, le projet existe pour la réhabilitation du quartier des Ardoines à Vitry-sur-Seine). La construction de bassins de stockage des eaux de pluie peut être une autre réponse qui favorise le développement d’espace vert dans la ville en période de basses eaux. Les zones d’expansion des crues devraient être systématiquement réhabilitées, quand cela est possible (autrement dit quand elles ne sont pas construites). Ces choix émanent le plus souvent des pouvoirs publics, impliquent des financements appropriés, ils résultent de la mise en application de lois ou de réglementations et de choix d’aménagement par les pouvoirs publics. 

Dans bien des cas, les populations qui refusent d’envisager la crise, se considèrent néanmoins protégées grâce à la présence de digues, de murettes et de barrages. Ces constructions qui relèvent de la protection, justifient le maintien de populations peu soucieuses des dangers dans les espaces à risque. Or de nombreux exemples montrent que la présence de protections augmente le risque pour les populations implantées derrières les digues, l’exemple de la Faute-sur-mer en témoigne (27-28 février 2010, 29 morts).

« L’habiter » en zone à risque nécessite aussi que les activités et la vie puissent continuer y compris quand survient la crise, une attention particulière doit être accordée aux infrastructures critiques, aux réseaux de circulation indispensables aussi bien pour la vie dans la zone à risque elles-mêmes que pour relier d’autres espaces. C’est le cas des réseaux électriques, d’eaux potables et usées, des réseaux distribuant l’énergie…du ramassage et du traitement des déchets. La continuité d’activités en cas de crise paraît aussi nécessaire pour éviter de grands déplacements de population toujours mal vécus et souvent dommageables à plus d’un titre (social, économique…). Des plans de continuité d’activités doivent être établie dans les zones à risque et mis en œuvre dès que se profile la crise.

Se pose donc la question des conflits entre intérêt collectif et intérêt individuel, entre la place de l’Etat et le comportement des particuliers.

Les lois françaises de 1982, 1995, 2003 précisent l’interdiction de s’installer dans les zones à risque fort, ce qui aurait dû et devrait éviter bien des difficultés. Cette question de la gestion des espaces dangereux n’est pas nouvelle (décret-loi de 1935 et décret d’application de 1937 instituant les plans des surfaces submersibles –PSS-. Les PSS prescrivent un régime d’autorisation lorsque le risque de crue présenté par les cours d’eau le justifie ; ils nécessitent le dépôt d’une déclaration avant réalisation de travaux susceptibles de nuire à l’écoulement naturel des eaux tels plantations, constructions). Or, au cours des dernières décennies les zones inondables le long des cours d’eau ou sur les littoraux n’ont cessé de se peupler bien que les zonages associés aux Plan de Prévention des risques (PPR) concernent de très nombreuses communes. Rappelons que sur 36 000 communes, 18 600 sont reconnues soumises au risque d’inondation, 14 200 au mouvements de terrain et sécheresse/retrait des sols, 21 400 sont sismiques, 616 soumises aux avalanches, 6 000 aux feux de forêt, 62 aux phénomènes volcaniques, sans compter les phénomènes atmosphériques sont le déroulement peut varier géographiquement fortement selon leur nature… Ces données signifient en outre que de nombreuses communes sont affectées par plusieurs risques) (source INSEE données du 1er janvier 2013). L’aménagement du territoire qui intègre ces risques par le biais des zonages est généralement très mal perçu par les populations menacées. Pourquoi cela ? Les territoires de risque sont pluriels. Ils ne se limitent pas au tracé d’une ligne sur une carte à l’intérieur de laquelle s’appliquent un règlement et une autorité. A côté des limites et d’un contenu matériels, ces territoires offrent des symboles et des valeurs qui participent à la diversité du processus d’acceptation et de territorialisation des risques. Dans de nombreux exemples, soit la population qui habite en zone à risque, minimise celui-ci ou le refuse, soit elle considère que la sécurité est l’affaire de l’Etat, soit enfin elle ne peut accepter l’idée de devoir vivre ailleurs et autrement. L’exemple des habitants des iles de la Marne pourtant en zone rouge du premier PPR en témoigne, ( île Fanac à Joinville, Sainte-Catherine et Brise-Pain de Créteil, île des Loups de Nogent-sur-Marne, Île d’Amour de Bry-sur-Marne). Le zonage a provoque un tollé au sein des communes concernées. Plusieurs riverains regroupés en associations (Association pour la protection des riverains et des îliens à Bry-sur-Marne), soutenus par les élus ont obtenu la modification du zonage, modification qui naturellement ne va pas dans le sens d’une meilleure prise en compte du danger. L’exemple du littoral atlantique où la tempête Xynthia en février 2010 a provoqué la mort de quarante sept personnes permet des conclusions similaires. Les premières estimations des pouvoirs publics considéraient que 595 habitations en Charente-Maritime, et 798 en Vendée devaient être démolies dans les « zones noires ». Les habitations rachetées par l’État ont été progressivement détruites sur ces espaces récemment urbanisés pour la plupart. Cette stratégie de repli est relativement nouvelle dans la politique française de gestion des territoires à risque. Mais les habitants pourtant très affectés par la situation dramatique qu’ils venaient de vivre, n’ont pas accepté cette solution, regroupés en associations, ils se disaient prêts dans un tract de fin 2010 à attaquer l’Etat en justice pour empêcher la destruction de leur maison. Si cette procédure a conduit à revoir de manière plus fine la définition des zones « noires » devenues « zones de solidarité », il n’en demeure pas moins que la réaction de personnes pourtant meurtries, face au danger toujours présent ne laisse pas de surprendre. Quelle leçon cette population a-t-elle tirée d’un tel drame ? Se pose donc la question des conflits entre intérêt collectif et intérêt individuel, entre la place de l’Etat et le comportement des particuliers. Qui doit trancher ? La négociation est-elle toujours la meilleure solution et jusqu’où la conduire ? Habiter en zone à risque renvoie donc à des questions de pratiques de la démocratie et de l’éthique. Beaucoup de communes et de citoyens considèrent que les obligations imposées par l’État bloquent leur développement, stérilisent leur territoire en raison du gel de l’urbanisation envisagé en zone rouge. Certains élus et citoyens jugent le risque négligeable et considèrent qu’il est très surestimé par les services de l’État, cette surestimation produisant des effets inacceptables sur leur territoire.

Aujourd’hui un mouvement qui se généralise prône la construction en zone à risque pour pallier la faible disponibilité de foncier notamment en Ile -de -France, pour utiliser des espaces dévolus à des friches et enfin pour répondre aux spécificités de la ville durables, à savoir sa densification afin de réduire l’étalement urbain et les mobilités associées. Faut-il aller pour une meilleure acceptabilité de « l’habiter » en zone à risque et pour une ville plus dense, jusqu’à une totale déréglementation ? Faut-il supprimer les zonages des territoires dangereux ? Peut-on envisager tous les espaces à risques de la même manière, inondations lentes et rapides par exemple ? Les constructions en zone dangereuse continuent et sont parfois effectuées au nom du développement durable (l’exemple de la vallée du Var est à cet égard caricatural). La prise en compte du risque pour un « habiter durable » doit être réalisée de manière a ne pas aggraver ou créer des inégalités entre quartiers, ou groupe d’individus, elle doit au contraire renforcer une cohabitation durable et harmonieuse.

En conclusion, « L’habiter » en zone à risque nécessite une connaissance de l’espace de vie et de ses dangers spécifiques, un dialogue entre les citoyens plus ou moins menacés, mais aussi entre citoyens et pouvoirs publics pour trouver des solutions qui dépassent le seul habitat et le seul individu. Le mode « d’habiter » doit conduire à vivre dans des espaces où le risque est connu, intégré pleinement dans les perceptions et les politiques, accepté pour être mieux « géré » et pour plus de durabilité. L’habiter dans les espaces dangereux renvoie aux citoyens, aux politiques, aux choix de gestion des territoires concernés. On perçoit souvent en France, à la différence de la Grande Bretagne par exemple, les oppositions entre pouvoirs publics et citoyens, or une manière « d’habiter durable » devrait notamment s’appuyer sur une meilleure concertation ente les différentes catégories d’acteurs.

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